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Biologiste marine, Isabelle Poitou dédie sa vie à la lutte contre les déchets en mer. Avec son association MerTerre, elle a mis au point une méthode scientifique de caractérisation pour alerter les pouvoirs publics et trouver des solutions. 

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

Alerter sur la crise des déchets

Je dirige l'association MerTerre, spécialisée dans la lutte contre les déchets abandonnés diffus qui peuvent aboutir dans les milieux marins. Le mégot de cigarette négligemment jeté par terre, l'emballage de friandises qu'on va jeter dans la bouche d'égout, les déchets qui débordent des poubelles, des bouteilles en plastique, des canettes en alu, des Caprisun… tous ces objets du quotidien qui sont jetés, qui sortent des circuits contrôlés.

Nous, notre travail, c'est d’alerter sur cette pollution car c'est une pollution qui n'est pas reconnue en tant que telle ; qui est plutôt considérée comme une simple nuisance au tourisme. Mais c’est symbolique : la mer, source de vie, vient renvoyer sur les plages ce qu'elle n'arrive pas à digérer. Et donc il y a cette notion de mal de mer. Je joue beaucoup sur les mots, mais elle vient vomir et nous renvoyer, nous rendre ce qu'elle ne sait pas recycler.

Et donc mon travail, en tant que biologiste marin à MerTerre, c'est de révéler, de rendre visible cette pollution. Et de la mesurer pour faire prendre conscience. C'est-à-dire que je vais aider les pouvoirs publics, les industriels, les collectivités territoriales, les citoyens et les habitants à prendre conscience de l'existence de ce problème. En le mesurant comme les scientifiques, avec une méthode standardisée qui permet de comparer les résultats entre eux et de développer des plans d'action, et donc de pouvoir évaluer l'efficacité de la réduction de ces déchets.

Responsabilités partagées

On a une conjonction de trois facteurs. Le premier, c'est l'individu consommateur qui n'a pas conscience de polluer, qui fait un geste inconscient, comme jeter son mégot par terre. Donc c'est un manque de conscience du caractère polluant de nos objets du quotidien.

On a ensuite des services techniques qui n'ont pas non plus conscience que ça pollue. Les premiers de cordée de la mise en œuvre de solutions et d'actions, ce sont les services techniques des collectivités territoriales qui s'occupent de la propreté et de l'assainissement. Mais on a des instances publiques qui n'ont pas conscience que c'est un enjeu environnemental et qui gèrent ça un petit peu par-dessus la jambe.

Donc, c'est ces deux facteurs, plus derrière les éléments naturels : la pluie, le vent qui viennent nettoyer, faire effet chasse d'eau, drainer, véhiculer, transporter les déchets de la terre vers la mer.

Il y a aussi les scientifiques qui ont une part de responsabilité importante dans tout ça. Eux, leurs méthodes d'investigation, c'est la concentration dans des volumes d'air ou d'eau, grâce à la loupe binoculaire, mais le macro, ils ne savent pas mesurer.

J'ai quand même une satisfaction après 22 ans de l'association parce que nous avons créé une plateforme de science collaborative. Ça, c'était un de mes rêves. Quand j'ai fini ma thèse, je me suis dit « il faut absolument créer un observatoire national référent pour qu'on partage tous de la donnée ». Aujourd'hui, on a plus de 400 structures dans notre plateforme de science collaborative et nous sommes en train de diffuser une méthode standardisée. On travaille avec Suez, le SERAMM, on forme les services techniques ; les pouvoirs publics commencent à comprendre le pouvoir qu'ils auraient d'agir.

Système toxique

Il y a de plus en plus de structures, d'associations, de jeunes qui arrivent, qui sont hyper motivés, super engagés. Il y a une prise de conscience et une mobilisation. Il y a de plus en plus de gens qui ramassent ou juste qui font l'effort d'aller jeter dans la poubelle, toute population confondue. Donc on a une évolution des comportements. Mais il y a toute une partie de la population qui est très éloignée de ces sujets-là.

Et les déchets que nous trouvons sont le fruit de comportements qui ne sont pas respectueux de leur propre corps. Ce sont majoritairement des emballages de restauration rapide, de sucreries, de boissons sucrées, de boissons alcoolisées, de nourriture très salée.

On sent une forme d'addiction, une forme de détresse psychologique parce que ça traduit un besoin excessif de gras, de salé, de sucré, de tabac. Ce qui veut dire que les gens qui jettent n'ont pas de respect ni pour leur corps, ni pour l'environnement. Voilà, on est dans des façons de penser, des systèmes qui sont délétères, toxiques.

Notre système socio-économique est à la base du dérèglement du monde. C'est que pour gagner ma vie, je vais devoir fabriquer des objets qui polluent, alors que j'ai conscience que ce que je fais est mauvais et toxique pour l'environnement. Sauf que je dois travailler pour gagner ma vie et celle de mes enfants. Et là, imaginez le conflit intérieur !

Psychologiquement, c'est extrêmement toxique, c'est très pernicieux, c'est pervers et ça entraîne des comportements ou on va taire ses besoins essentiels, ce qui créé des manques et amène à consommer. Oh, c'est merveilleux ! Du sucré, du salé, du tabac, de l'alcool pour essayer d'étouffer et d'éteindre cette angoisse. Et donc, finalement, ce système est auto-nourrissant.


Source URL: https://www3.calanques-parcnational.fr/des-connaissances/culture-et-patrimoine/paroles-et-visages-des-calanques/isabelle-poitou-la