Imprimer

Chercheuse en écologie marine, Alessandra Accornero-Picon a fait partie des pionniers de la création du Parc national des Calanques. Elle revient sur ces années de concertation, de négociations et de dialogues avec les usagers et sur les victoires atteintes en termes de préservation de l’environnement. Elle s’inquiète toutefois de l’arrivée de nouvelles pratiques et activités.

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

À l’origine du Parc national des Calanques

Ma fonction au Parc des Calanques est celle de référente écologie des milieux marins : je m'occupe de l'état de santé des écosystèmes. C'était quelque chose qui était motivé par mon désir de faire de ce territoire un endroit sain pour vivre, y compris pour les générations futures.

J’étais là avant la création du parc national. À l’origine il y a eu une structure, un groupement d’intérêt public, qui avait pour tâche de mettre en place un projet de parc qui soit un bon compromis entre la protection de la nature et l'acceptation au niveau des usagers locaux. Que ce soit quelque chose de pas trop conflictuel avec les usages traditionnels.

Donc, il y a eu des années de concertation pour la mise en place de chaque mesure. Au départ, une grande partie de notre travail était de connaître en détail le territoire et d'aller vers les habitants pour essayer de construire avec eux un projet commun. Tant pour les habitants et les usagers de loisir que pour les catégories professionnelles qui étaient établies, avec des intérêts d'ordre économique, comme la pêche professionnelle ou la batellerie.

Le but c'était un projet de réserve, notamment au niveau de l'archipel de Riou qui a un rôle écologique hyper important dans la rade de Marseille. Et donc de créer un espace où la nature soit protégée des impacts anthropiques locaux qui sont importants parce que, bien évidemment, on est aux portes de Marseille.

C'est d’ailleurs le premier parc national qui a été établi à proximité d'une très grande ville. D'habitude, on cherche toujours des zones un peu reculées où les activités économiques ne sont pas très développées pour constituer des zones protégées, parce que tout simplement l'acceptation locale est souvent plus vaste ou plus facile à obtenir.

Des victoires…

C'était un travail de négociation et de concertation, de longue haleine notamment pour définir le périmètre global de ce parc, mais aussi à l'intérieur de ce périmètre, des zones soumises à une réglementation plus forte, par exemple les zones où il est interdit de prélever des ressources.

Vous voyez, c'était ça les points qui risquaient d'être très conflictuels en raison des caractéristiques humaines de la zone : la mer est un exutoire pour la population marseillaise, elle y cherche une tranquillité, un apaisement, mais aussi des ressources.

Et donc il y a énormément de Marseillais qui se dédient aux activités comme la pêche de loisir, avec des prélèvements qui sont in fine très conséquents, au point que ça peut mettre en péril certains compartiments écologiques. Et parmi les choses qu'on a réussi à faire il y a la création des zones où toutes les formes de pêche sont interdites.

J’estime aussi que le Parc a eu un rôle hyper fondamental de pression pour faire en sorte que certains sujets avancent. Par exemple, la remise aux normes de la station d'épuration de Cortiou.

Au niveau du Canyon de Cassidaigne, pendant les premières années du parc, il y avait le fameux rejet de boues rouges. Il y avait des dérogations par rapport à la loi française en termes de concentrations de métaux qu'il était possible de déverser en mer. Alors vous voyez, le Parc est arrivé et il a commencé à s'occuper de l'affaire, en coordination avec les services de l'État. En quelques années on a réussi à complètement éliminer la partie solide de ces rejets qui ont finalement été remis complètement aux normes françaises en 2019.

… mais rien n’est acquis

Je trouve que les générations futures, celles qui vont nous succéder, sont de plus en plus sensibilisées et engagées. Après, comment dire... il y a toujours le conflit avec une vision économique.

Je pense à des usages qui n'existaient pratiquement pas il y a dix ans et qui sont censés apporter des bénéfices économiques à la région, mais à quel prix ? Vous voyez, par exemple, on parle de développement des télécommunications, de datacenters, de faire de Marseille la porte d'entrée de la 5G en Europe, de multiplier la pose de câbles sous-marins de télécommunications ...

En soi, chaque projet n'est pas dramatique, mais le problème, c'est que les pressions s’accumulent et les choses se multiplient de façon exponentielle et incontrôlée. En un clin d'œil, vous permettez le développement d'une activité et vous abîmez, vous détruisez en un jour le travail de la décennie précédente.

C'est difficile parce que c'est tout le temps un compromis entre des avancées et des régressions. Là, voilà, il y a des nouveaux usages et des nouveaux enjeux. Ils viennent juste d'apparaître et ils se sont déjà développés à fond la caisse, vous n'avez même pas eu le temps de vous en apercevoir, d'évaluer l'impact, vous n'avez pas forcément les compétences, et voilà, ça va très vite.

Pour les équipes du Parc national, il y a des victoires, mais il y a aussi des défaites. On a fait quelque chose de bon qui est à présent en marche, mais qui est tout le temps soumis à des possibilités de dégradation par des choses qu'on n'imaginait pas il y a cinq ans.


Source URL: https://www3.calanques-parcnational.fr/des-connaissances/culture-et-patrimoine/paroles-et-visages-des-calanques/alessandra-accornero-picon